Comment décrirais-tu ton métier ?

Je suis chef de projet de l’émission Ninja Warrior depuis deux saisons (8 et 9). Je travaille sur le programme depuis la saison 3 : j’ai été journaliste, chef d’édition en montage, rédacteur en chef en post-production puis chef de projet en post-production pendant 3 saisons. J’ai pris le suite de Marion Carbone.

Quelle est l’ampleur de ce projet ?

C’est un gros barnum ! Entre la préparation et le tournage, ça me prend jusqu’à huit mois dans l’année. La préparation dure trois à quatre mois, puis on tourne à Cannes sur 8 jours lorsque les conditions météo sont optimales car nous tournons en plein air. Le vent et la pluie sont des critères de “non-jouabilité” qui nous ont déjà obligé dans le passé à prolonger le tournage. ensuite il y a la post-production qui dure environ 4 mois.

Et le tournage en lui-même ?

Au total, on enregistre 4 soirées de qualification et demi-finales puis une soirée est dédiée à la finale (coupée en 2 pour la diffusion). La saison s’étend sur 6 prime à la diffusion qui aura lieu cet été à partir de début Juillet sur TF1.

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce programme ?

C’est un vrai ovni audiovisuel. Elle ne ressemble à rien d’autre.  C’est une compétition sportive et humaine, avec un vrai enjeu physique. Denis Brogniart y apporte une légitimité sportive, et Christophe Beaugrand du fun et de l’émotion. Cette année, Anaïs Grangerac  intègre la présentation de l’émission aux côtés de Denis Brogniart et Christophe Beaugrand. C’est une grande férue de sport qui apporte à la fois de la légèreté, de l’humeur et de l’intensité aux performances des candidats.

Le ton de l’émission semble assez hybride.

Exactement. C’est un mélange de compétition, de divertissement et d’émotion. On cherche toujours des profils forts, atypiques, qui portent des histoires de dépassement de soi. Et on a une équipe fidèle, qui est là depuis des années. C’est un projet très humain.

C’est vrai que vous tournez sur le plus grand plateau d’Europe ?

Oui, 7 000 m² installés sur le port de Cannes. On appelle ça “le monstre d’acier”. C’est une structure massive, montée par des dizaines de personnes. Le montage prend deux à trois semaines, en partenariat avec la ville car nous privatisons une partie du port.

Quel est le kit de survie du chef de projet télé ?

Café : à tout heure !

Planning : XXL !

Équipe : soudée ! 

Baskets : une ou deux bonnes paires !

Combien de candidats sont sélectionnés ?

On en caste entre 400 et 500, mais seulement 200 participent. On les teste physiquement, c’est très rigoureux. Sprint, pompes, tractions… On établit un score pour chaque participant et on les classe.On organise des duels, donc il faut des candidats de niveaux équivalents. Et on doit aussi penser aux obstacles, entre nouveautés et éléments iconiques.

Certains candidats sont fans depuis l’enfance ?

Oui, beaucoup ont grandi avec l’émission. À 18 ans, ils viennent réaliser un rêve. On a tous été bercés par Fort Boyard ou Intervilles. C’est dans cette lignée, mais avec une touche moderne.

Tu parles d’un véritable phénomène culturel ?

Complètement. Il y a même des salles d’entraînement qui ouvrent un peu partout en France. C’est devenu un sport à part entière. Du coup, il y a des salles qui ouvrent un peu partout en France. C’est un peu moins développé qu’aux États-Unis, mais on suit vraiment la tendance. 

Le format est japonais c’est ça ?

Oui, ça s’appelle Sasuke, c’est le format original. Nous renouvelons les droits chaque année, et c’est super parce que l’émission fonctionne bien en France. On accorde aussi beaucoup d’importance à l’image. Chaque pays apporte ses spécificités, mais en France, on a vraiment un traitement particulier des candidats, et c’est aussi ce qui m’a attiré. Au-delà de l’aspect sportif, parce que j’ai toujours fait du sport, il y a aussi ce côté esthétique. Il y a dix ans, ce n’était pas aussi important, mais aujourd’hui, ça l’est de plus en plus. En tant que journaliste, je m’éclatais déjà, mais là, avec le montage, il y a tellement de créativité. On raconte des histoires variées, certaines très fortes, d’autres plus légères. Et puis on valorise aussi des métiers comme les pompiers, on tourne des portraits improbables… c’est vraiment cool et hyper varié.

Et vous êtes clairement dans une tendance de dépassement de soi, qui est super valorisante. Ça l’a toujours été, mais aujourd’hui, avec les réseaux, ça devient encore plus fort. Pour les jeunes, c’est un truc super motivant.

Complètement.

Y a-t-il des nouveautés cette saison ? Une structure particulière ?

Alors oui, il y a des nouveautés pour cette neuvième saison. On n’est pas encore à fond dans la promo donc je ne peux pas tout révéler, mais je peux te dire qu’il y a, en plus de nouveaux candidats, des anciens aussi qui sont des figures emblématiques du programme qui seront présents.

Quelle facette de ton travail te plaît le plus ?

Ce que je préfère, c’est vraiment le travail en équipe. Il y a des gens que je connais depuis le début. Bien sûr, certaines têtes changent, mais le noyau dur est toujours là. Je travaille avec Lionel Viart, par exemple, qui est là depuis la première saison. C’est le directeur technique et arbitre de l’émission. Il gère les prestataires, la commande et les réglages des obstacles avec Frédéric Pedraza le producteur. Il y a tout un tas de tests à faire pour ne rien rater le jour J.

C’est hyper précis.

Exactement. C’est une émission très particulière. Et puis il y a aussi Marion Carbone… Nous avons bossé ensemble aussi sur Danse avec les Stars. C’est une super cheffe de projet, nous nous sommes suivis longtemps. C’est à cette époque-là que nous avons vraiment posé les bases de ce qui fait la force du programme aujourd’hui. Pour moi, c’est essentiel de préserver cette âme.

Avoir une âme, c’est ce qui donne tout le sens, oui. Quel est ton parcours ?

Alors… Moi, j’ai toujours été passionné par l’image, la musique, l’écriture. Sans savoir que ça deviendrait mon métier. Quand j’étais gamin, je rêvais d’être écrivain.

Tu lisais quoi ?

Je lisais des polars, des classiques, des pièces de théâtre… J’ai toujours eu envie de raconter des histoires.

Ce n’est pas trop tard !

Mais non, c’est pas trop tard. J’attends juste le bon moment. J’ai quelques projets de côté. La photo, l’image, la vidéo… ça m’a toujours attiré. J’ai même fait des études en communication, pub, ce genre de choses. Après mes études, on m’a proposé un poste chez Publicis, chef de pub, costume-cravate… mais c’était pas du tout pour moi. J’ai dit non et j’ai pris une année sabbatique pour voyager, découvrir autre chose. J’enchaînais les études sans pause, donc j’avais besoin de souffler. Un pote de l’école, devenu monteur, m’a parlé d’un festival de musique énorme à Budapest : le festival Sziget. C’était déjà une institution au début des années 2 000 avec 400 000 personnes sur une île et des artistes de partout. On a monté un docu là-dessus. Totalement autoproduit, sans diffuseur. On a mis un an à le faire. Je dormais sur son canapé, on avait tous les accès backstage. On a tourné dans des conditions de fou.

Et vous avez réussi à le diffuser ?

Pas vraiment, juste un petit reportage de 3 minutes sur Arte, un portrait d’un groupe. Puis je suis passé à autre chose. Je savais que je voulais bosser dans l’audiovisuel, mais je ne savais pas comment y entrer. Je me suis inscrit à la fac de Nanterre, en ciné, juste pour pouvoir choper une convention de stage.

Où as-tu commencé ?

Chez Angel Prod. Ils produisaient « Saga ». J’ai fait un stage de deux ou trois mois, ça s’est super bien passé. J’ai fait mes premiers tournages avec les journalistes de l’émission, et trois mois plus tard, on me confiait mes propres sujets. Ça a été vite. J’ai bossé pas mal sur les archives, les interviews, les portraits. J’ai ensuite intégré des émissions comme « Classé confidentiel » ou « Accès privé », un magazine people. Puis j’ai bifurqué vers le documentaire. J’ai bossé sur une série qui s’appelait « Qui sont-ils vraiment ? » : on faisait des portraits de personnalités comme Séguéla, Jacques Vergès, ou Mylène Farmer par exemple.  J’ai bossé sur une collection qui s’appelait « La Folle Histoire », on a lancé ça avec Ah Prod, Antoine Henriquet. Le premier sujet, c’était sur Le Splendid. Un carton, TF1 l’a racheté y a deux-trois ans.  Après ça, j’ai fait principalement du mag et des docs musicaux. Puis on m’a proposé « Danse avec les stars » comme journaliste. Ils voulaient renouveler un peu l’édito, rendre les portraits plus spontanés. C’était la saison 6, et j’ai adoré. C’est une grosse équipe, un gros barnum et par conséquent un changement par rapport au doc solo. Ensuite j’ai fait un doc pour les 70 ans du Festival de Cannes. C’était costaud, beaucoup d’archives à traiter.  Aujourd’hui, ça fait dix ans que je suis sur ce genre de formats. J’ai fait cinq saisons de « Danse avec les stars » en parallèle de Ninja Warrior. Récemment, j’ai travaillé en tant que journaliste sur l’émission « Comedy Class » présenté par Eric & Ramzy diffusée sur Prime Video ( un talent show dédié à la découverte des nouveaux talents du stand up). En fin d’année dernière, j’ai également travaillé sur la dernière saison de THE VOICE en tant que rédacteur en chef adjoint.

Et à côté, tu arrives à te consacrer à d’autres projets ?

Oui, j’essaie de prendre le temps. J’ai beaucoup voyagé. Pendant 4-5 ans, je faisais ça : je partais 1 à 2 mois, je jonglais entre le travail et le voyage. C’est ma passion avec la gastronomie. Voyager et manger, c’est le combo parfait.

Si tu devais repartir demain, ce serait où ?

Je retournerais au Cambodge. Ou au Laos. Y’a une authenticité, une douceur de vivre là-bas… malgré la pauvreté. Le temps s’arrête. Tu viens de nos vies super speed, tu poses les valises là-bas et tu respires enfin.

Tu penses écrire un jour sur tout ça ? Un bouquin, un docu ?

Oui j’adorerais! Peut-être pas un roman, mais des photos, des reportages sur la gastronomie, les gens… J’ai ce goût du portrait depuis toujours. Et maintenant, j’aimerais mettre en lumière des gens de l’ombre. Les célébrités n’ont pas besoin de moi pour se raconter. Ce sont les gens plus authentiques que j’ai envie de suivre.

 À quoi ressemble une journée type pour toi en ce moment ?

Franchement, il n’y a pas vraiment de journée type. Tout dépend de la période. Mais si je devais résumer : on commence entre 9h et 10h le matin et nous terminons aux alentours de 2h du matin. On fait un point avec la rédactrice en chef — cette saison, elles sont trois — notamment sur les portraits. On a une trentaine de portraits de candidats à envoyer chaque jour. Il y a une grosse coordination avec les journalistes sur le terrain. Les journées sont denses et chargées : les Warriors ce sont aussi les équipes !

Donc tu es à la fois dans la gestion et dans l’artistique ?

Exactement. En parallèle, je bosse aussi sur le conducteur de l’émission du soir. Il y a une cinquantaine de candidats à suivre chaque jour, donc il faut que ce soit béton. Je travaille avec Maxime Lecanu, l’auteur qui écrit les textes plateau des animateurs. On corrige, on modifie, on valide. Ensuite, je fais un point avec les animateurs sur les séquences à tourner, et je les briefe sur les candidats importants à suivre.

Tu parlais d’un candidat non-voyant ?

Oui, cette année on a un non-voyant. Ce n’est pas pour le buzz, on a longtemps hésité avant de l’intégrer au casting. Mais après l’avoir rencontré, c’était une évidence. Je ne dévoilerai pas le résultat mais c’est un moment extrêmement fort et une performance incroyable qu’il a livré sur le parcours.

Les journées doivent être intenses sur le tournage ?

Clairement. À partir de 18h, on commence à tourner les premières séquences avec les animateurs. À 18h45, ils vont à la rencontre des candidats pour mettre un peu d’enjeu. À 20h, tout le monde est en place sur le plateau et le tournage commence. Ça peut durer jusqu’à 2h du matin.

Et au niveau sécurité, avec des parcours aussi physiques c’est extrêmement encadré.

Nous avons un protocole très strict.l y a une équipe médicale sur place prête à intervenir au moindre soucis.

Et la post-prod dans tout ça ?

On enchaîne ensuite avec quatre mois de post-prod. Il faut construire les émissions sur le papier, attribuer les bons candidats aux bons monteurs. Je travaille avec une équipe composée de plusieurs rédactrices en chef et chefs d’édition ainsi que deux chefs de projet en post)production qui m’aident à encadrer le montage des 6 émissions. Nous travaillons sur le rythme, les enchaînements, les émotions. Chaque prime nécessite environ 60  jours de montage !

Tu passes beaucoup de temps à Atlantis (les bureaux) ?

Oui, c’est presque un second chez-moi. Je découvre les nouveaux locaux, ils sont top. Mais oui, pendant les saisons, j’y passe mes week-ends, mes soirées… C’est intense.

Quels conseils donnerais-tu à un jeune qui veut travailler dans l’audiovisuel ?

La curiosité. Et ne jamais penser que c’est impossible. Si tu veux vraiment un truc, si tu es passionné, rien ne peut t’arrêter. Il faut croire en ses rêves.

Quelles sont les qualités d’un bon chef de projet ?

Il faut être calme, humain, capable de gérer plein de profils différents. C’est un rôle central : tu es à la fois le lien avec la chaîne, la prod, les techniciens, les équipes éditoriales. Et puis, il faut aimer manager.

Ton parcours t’aide dans ce rôle ?

Énormément. J’ai été journaliste, j’ai bossé en post-prod, j’ai fait du mag, du doc, de la réalisation. Tout ça m’aide à comprendre les attentes de chacun. Ce rôle demande de la polyvalence, et je pense que c’est ce qui m’a permis d’être à ce poste aujourd’hui.

Tu envisages de revenir à la création pure, parfois ?

Oui, j’aimerais bien revenir à l’écriture, au terrain, au doc. C’est ce qui me manque le plus. Mon poste est très créatif et j’adore l’encadrement des équipes qui va avec.