Pascal et Bertrand, réalisateurs post-production sur la nouvelle fiction de France Télévisions : CROSSROADS partagent avec nous leur expérience de montage.

PASCAL JAUFFRES

Pascal, quelle est ta formation ?

Pascal : Je n’ai pas de formation technique. Je suis un ancien comédien. Après une formation au conservatoire d’art dramatique de Toulouse, j’arrive à Paris et je rejoins celui du Xème. Je deviens alors comédien pendant 7 ans. J’enchaine les petits boulots et je fais quelques courts métrages. Au gré de mes rencontres sur ces courts-métrages, un monteur me propose de me faire ma bande-démo de comédien. Nous nous retrouvons à passer deux nuits blanches pour monter cette démo et je découvre le monde du montage. C’est un véritable coup de coeur, l’idée de pouvoir réinventer les choses grâce au pouvoir de l’image me passionne. Je fais donc une formation aux 3iS.

Tu arrêtes donc ton métier de comédien ?

Je me dis plutôt que c’est l’idéal pour continuer dans une voie artistique et que çela peut me faire une vraie complémentarité et que je pourrais éventuellement alterner les deux métiers. Après ma formation, j’ai été pris sur la chaîne MCM et la suite s’est enchainée logiquement.


Tu restes comédien d’une certaine manière avec le montage ?

Tout à fait, mon outil devient le matériel des autres. J’instrumentalise le jeu des comédiens. Ce qui m’intéresse c’est de créer de l’émotion. Je passe de la matière brute à la fabrication d’une histoire.

Sur quels types de programmes travailles-tu à tes débuts ?

Quand j’ai commencé, c’était l’avènement de la télé-réalité. J’ai démarré un an après la vague Loft Story. Il y avait une nouvelle place à prendre. J’ai fait beaucoup de téléréalité et de flux : l’Île de la tentation, la Star Académie ou encore Mon incroyable fiancé. Puis j’ai travaillé sur Pekin express et d’autres programmes …

C’était une période intéressante en post-prod avec ces nouveaux formats, non?

Ce qui me plaisait surtout avec des programmes comme Mon incroyable Fiancé ou L’Île de la tentation, c’est que j’avais l’impression de monter une fiction. Ce sont des programmes pour lesquels il faut apprendre à faire “monter le drama”. Le challenge est de faire prendre la sauce !

À quel moment la fiction arrive dans ta vie de monteur ?

Au bout de 10 ans, Philippe Proteau, qui réalisait l’île de la tentation, me propose de le rejoindre sur l’aventure de Camping Paradis. Nous avions l’habitude de travailler ensemble et un fort lien professionnel s’était créé, il connaissait bien mon travail.

La fiction était un objectif pour toi ?

Oui. C’est mon passé de comédien qui veut çela, donc ce challenge avec Philippe était une opportunité rêvée pour moi.

Comment se sont passés les débuts en montage fiction ?

C’était nouveau pour tout les deux, donc stressant mais excitant. C’est une nouvelle écriture visuelle et il me fallait découvrir un nouveau savoir-faire. Heureusement, les équipes étaient vraiment rassurantes.

Qu’entends-tu par nouveau savoir-faire ?

En fiction, le montage se fait toujours sous AVID mais j’ai un collaborateur qui prépare les chutiers en amont ainsi que la synchro image et son. C’est avec lui que je communique en priorité. Je dois faire le lien entre la production, le tournage et l’écriture. Souvent, le tournage n’est pas terminé. C’est aussi l’occasion de donner des informations aux équipes de tournage ou d’en profiter pour tourner un insert dont nous aurions besoin.

Sur quel genre de fiction travailles-tu ?

Je travaille sur pas mal de polars. J’adore cela car il y a toute un atmosphère à créer et c’est très gratifiant à construire.

Quel est le projet sur lequel vous travaillez avec Bertrand ?

Crossroads est une nouvelle série pour France Télévisions. C’est un nouveau polar donc le challenge pour nous est de poser les codes de cette série. Nous avons la chance d’avoir pas mal de libertés. Nous ne nous connaissons que depuis peu avec Bertrand. Notre première collaboration sur la série Balthazar date de moins de deux ans mais j’ai remarqué tout de suite que nous avions la même sensibilité, ce qui est parfait pour cet exercice d’écriture à deux voix sur le même projet. Il y a un bel échange dans notre travail.

Comment se prépare un nouveau projet ? Quelles sont les étapes pour toi ?

Je commence par lire le scénario. Je me fais une sorte de “qui est qui”. Il faut rentrer dans l’histoire. Cette série est de l’enquête donc il me faut cerner les “couleurs” des personnages et voir après quel sera leur chemin de construction. Il ne faut pas oublier les premières sensations de montage car on doit donner les clés sur l’évolution des personnages au fur et à mesure. Il faut construire et retranscrire.

C’est quoi sur ton mur justement ?

C’est un grand résumé. C’est le séquencier de ce que je monte. C’est une aide précieuse à la structuration des épisodes. Cet outil m’aide à répondre à ces questions : qui ? où ? Et quand? Le séquencier me permet aussi de contrôler le timing d’un épisode. La scripte, en amont, estime la durée d.une séquence par rapport à son écriture dans le scénario. Ensuite vient la mécanique du plan, le jeu des comédiens. Si à la fin de mon montage sur une séquence la durée est trop longue ou trop courte, c’est que je suis passé à côté de quelque chose dans le rythme.

Le montage se fait se façon chronologique ?

Pas nécessairement. Personnellement, j’aime les scènes de crime, ce sont des scènes de montage qui sont souvent assez payantes. Dans le cas de ce montage de Crossroads, j’ai presque monté dans l’ordre du scénario pour le moment.

Tu connais bien Atlantis, n’est ce pas ?

Ah oui ! mais je ne connaissais pas le site de l’Ile Saint Germain. Nous avons une vue incroyable et ça c’est vraiment top ! Quand on passe 8 heures sur les écrans, il est nécessaire de pouvoir poser son regard au loin. Le site est accueillant et intimiste. Ici, je travaille avec Daniel Armand, Charlotte Boulen et Hafida Benhamdane. Il y a un super travail fait en amont.

Quelles sont pour toi les qualités nécessaires pour être monteur ?

Il faut de la patience et de la rigueur. L’essentiel est également de faire attention aux plans. Il faut savoir comprendre le caractère et la vision artistique des gens qui nous entoure pour fournir un travail optimum. Un monteur doit pouvoir aussi être force de proposition, il faut trouver le truc en plus qui sublimera la séquence.

Y a t-il une forme d’humilité quand on arrive du flux à la fiction ?

L’idée reste toujours de raconter une histoire. On peut se dire qu’il y a une forme d’humilité mais le but est le même.

Comment se passent les journées avec ce travail en binôme ?

Nous nous parlons beaucoup avec Bertrand. Nous échangeons sur les personnages. Nous nous faisons des visionnaires entre nous également. C’est un véritable plus d’être deux sur un projet, cela permet d’avoir un premier regard extérieur direct. Nous échangeons régulièrement avec le réalisateur en streamings, du à la crise sanitaire, pour les validations.

BERTRAND MAILLARD

Quel est ton parcours ?

J’ai toujours voulu travaillé dans l’image. Mon père, grand fan de cinéma, était projectionniste bénévole dans le cinéma de notre ville (Guémené -Penfao). Avec mon frère nous y passions une bonne partie de notre temps libre et je suis donc devenu projectionniste à 14 ans, c’était mon passe-temps. Parallèlement à cela, après un bac scientifique, je me suis inscrit en BTS audiovisuel à Angoulême.

C’était une évidence pour toi l’image ?

Oui, complètement. Je voulais travailler dans l’image, ou derrière la caméra. Le montage n’est pas venu tout de suite. À l’époque, ce métier n’était pas démocratisé comme il l’est aujourd’hui. Je l’ai découvert grâce au club vidéo de mon lycée. Après avoir étudié les meilleurs solutions pour une formation, j’ai choisi le BTS audiovisuel. Je suis parti à 300 km de chez moi. J’ai eu la chance d’avoir un professeur très intéressant. C’était un nouveau prof et qui venait du milieu professionnelle, pas que de la théorie. De ce fait, il était plein d’énergie et d’initiatives. C’était les débuts du logiciel AVID.

Pourquoi le BTS te tenait-il à coeur ? Tu aurais pu faire une école ou autre ?

Je voulais travailler vite. Et le BTS apporte une base solide techniquement parlant. Avec l’option de montage, j’ai découvert assez rapidement les ouvertures qui s’offraient à moi : la fiction, le documentaire, la publicité, le clip vidéo… Instinctivement, je me suis tourné vers la fiction.

Quelles ont été les étapes pour toi ensuite ?

J’ai fait des stages, notamment au sein de France 3 Ouest. Ensuite, j’ai eu un boulot d’assistant technique dans une boîte de post-prod pour les salles de montage. J’ai découvert plein de métiers différents : l’étalonnage, la régie etc… Dès qu’une salle de montage était libre, j’allais m’entraîner sur des projets. Un jour, on m’en a confié un et ça a marché. J’ai donc suivit le client sur d’autres fictions, c’était Adélaïde Production.

Tu as commencé directement par des séries ?

Les rencontres amènent les projets et ce sont des avantages en télé. Qui dit série, dit épisodes, souvent on part sur de longues aventures.

Qu’est ce qui te plaît le plus dans ce que tu fais ?

Je suis seul dans la salle de montage, du coup je suis le chef d’orchestre de l’ensemble. J’aime l’idée d’assembler les images pour raconter, retranscrire l’histoire. Ce qui me plaît c’est de créer un rythme.

Tu n’as pas fait que de la fiction télé, non ?

Je fais du cinéma également, plus précisément de l’animation à ce jour. En fait, une copine de BTS a eu l’occasion de travailler en animation. Elle était sur le premier volet d’Astérix en 3D. J’ai été pris en renfort et çela nous a ouvert des portes au sein de Gaumont Animation. Deux ans plus tard, Mikros projettait de faire un second projet Asterix. Entre deux, je suis parti bosser sur Cendrillon au Far-Ouest, également en 3D. J’ai vraiment apprit l’animation avec ces expériences. Quand le second Asterix s’est lancé, j’ai eu la chance de pouvoir repartir sur l’aventure. Çela m’a amené à 1 an et demi de montage avec Alexandre Astier et Louis Clichy. C’était impressionnant.

Quels conseils donnerais-tu à un jeune qui veut se lancer dans cette voie.

Il faut avoir envie de raconter des histoires. Avoir de bonnes bases techniques et de l’imagination. Il faut savoir garder un bon sens du rythme. Personnellement, j’adore monter en musique. Je pense avoir une bonne oreille et la notion de rythme aide à raconter une histoire.

Quelles sont les différences techniques majeures en animation ?

En animation, on part d’un Story Board. Les story boarders sont dans un pièce à côté du montage et ce qui est génial c’est que dès qu’il manque un plan, il est dessiné presque en live. Et on rencontre plein de monde en animation car on bosse directement dans les studios. En fiction, on est plus dans l’ombre, moins en bande, en équipe.