Originaire de Corse, Tony Comiti est à la tête de son agence de presse. Il partage avec nous son parcours exceptionnel.

Comment est arrivée ta passion pour la photographie ?

Quand j’étais petit, j’allais au cinéma avec mes parents et il y avait des photos du film devant la salle. Une fois devant le film, quand nous le regardions et qu’un plan était l’une des photos que j’avais vu, je me pinçais les doigts comme par superstition. Je ne sais pas si ma passion vient de là mais en tout cas j’ai toujours eu un intérêt pour l’image et la photo en particulier.

Ton enfance a baigné dans un univers particulier.

En fait, mon père était le patron du service de sécurité du Général De Gaulle. À l’époque, il n’y avait pas de service de presse à l’Élysée, donc c’est lui qui organisait tout. Il a quitté la Corse sans un sou pour rejoindre De Gaulle à Londres. Il a travaillé pour lui de 1958 jusqu’à la fin, à Colombey. J’ai donc baigné dans un univers forcément particulier. Mon père était copain avec les photographes de Match, France-Soir ou encore les journalistes de l’ORTF. Ces gens-là venaient dîner à la maison tout le temps. Ils racontaient leurs histoires de photos, de reportages et cela me fascinait.

C’était un moment où les photographes étaient en vogue ?

Quand j’avais 17 ans, c’était vraiment la mode des photographes. J’allais régulièrement voir des expos photos et j’avais des copains photographes. Un jour, l’un d’entre eux m’a filé un Nikon en me disant d’essayer. J’ai tout de suite accroché. Je n’aimais pas l’école, j’étais très mauvais. J’ai bac-3 ! J’avais envie de la rue. Je voulais bosser et plonger dans la vie rapidement. Dès 1968, par exemple, je pars faire des photos des manifestations alors que personne ne me le demande.

C’est le contact avec la rue, ce qui s’y passe que tu cherchais ?

J’ai quitté l’école tôt. J’étais barman dans une brasserie et avec le peu de sous que je gagnais je m’étais installé un labo dans ma salle de bain. Mon père m’a dit: c’est le bac ou la porte”. Donc j’ai pris la porte et je suis parti en Camargue avec un copain qui faisait de la photo-stop. Il fallait prendre en photo les touristes en maillot de bain sur des chevaux sur la plage au début de leur promenade, se dépêcher de développer la photo pendant ce temps et leur vendre la photo à la fin. C’était 1 franc le tirage.

Tu avais quel âge ?

J’avais 17 ans, mais du coup, j’étais fugueur car la majorité était à 21 ans. Avec un père au service de la sécurité du président… ma fugue ne dura pas longtemps. Les gendarmes me ramènent à Paris et là mon père comprend que j’ai vraiment envie de faire de la photo. Comme il a un contact à France-Soir il me fait rentrer au labo du journal à 19 ans. C’était un gros journal : 40 photographes, 5 éditions. Ça a démarré comme ça en fait. Je développais les photos des autres, c’était à l’ancienne, il y avait l’imprimerie rue Reaumur, ça sentait l’encre…. C’était une atmosphère. Tu partais photographier une manif en moto à la dernière minute, c’était vivant, dynamique, imprévu. Quand je suis rentré de mon service militaire, j’ai été contacté par des agences. J’ai commencé le photo journalisme chez un grand patron de presse qui s’appelait Göksin Sipahioglu, qui était le patron de l’agence SIPA. Il prenait le temps de regarder notre travail. C’était une transmission de savoir-faire.

Tu commences alors les reportages internationaux ?

Le premier coup international que je fais c’est quand l’agence m’envoie couvrir le coup d’état au Chili en 73, j’avais 23 ans. Tout le monde voulait photographier le stade de Santiago où il y avait tous les détenus politiques. Je remarque que seules les équipes de la Croix Rouge ont le droit de rentrer dans le stade. Je rentre donc avec un stéthoscope et un Leica caché dans la blouse, je réussi à faire une dizaine de photos. Il faut créer les moments. Il faut saisir les opportunités et surtout observer.

Il faut être malin, stratège?

Oui, la stratégie il en faut dans ce métier. Pour le Chili par exemple, tous les journalistes veulent photographier le stade. On nous faisait faire le tour du stade en car mais on ne pouvait pas rentrer. Ces images ont fait le tour du monde. Elles m’ont valu l’expulsion du Chili, j’y ai été interdit de séjour pendant 20 ans, pendant tout le régime de Pinochet.. On m’a traité de journaliste communiste. En venant de l’école France-Soir et SIPA, c’était pour moi une évidence de chercher les photos que les autres ne faisaient pas. Je pense que les reporteurs français sont les meilleurs du monde pour ça. Les autres attendent pendant que nous, on y va !

Ça se prépare un coup ?

Les reporters étaient des chasseurs d’information. Nous allions dans les rues chercher l’info. Il faut sortir de ce qui est autorisé. C’est plus difficile de raconter une histoire avec une double page dans Paris Match qu’en faisant un doc de 60 minutes.

À cette époque tu es spécialiste de l’Amérique Latine ?

Après le Chili, je suis devenu correspondant de Gama et Sipa en Amérique du Sud qui me passionne. Je suis arrivé au moment de la révolution du Nicaragua, des gros cartels de drogue, de la révolution du Salvador… J’ai ratissé ces pays avec mes appareils photo. Il y a eu un tournant dans ma carrière à ce moment là. Je faisais le portrait du dictateur du panama : Omar Torrijos pour Sipa. J’étais dans son bureau quand j’apprends la prise d’otage de l’ambassade de France à San Salvador. Il me propose de me faire amener à l’aéroport pour couvrir l’évènement. Le chauffeur de taxi voit mes appareils photos et me dit que l’armée est en train de tirer sur la population, place de la cathédrale. Je lui demande de m’y emmener. Je me suis retrouvé au coeur de la fusillade, planqué sous une voiture. L’armée tirait et les gens essayaient de rentrer dans la cathédrale. Ce sont des souvenirs de scènes épouvantables .

Il y avait d’autres photographes avec toi sur l’évènement ?

Non. J’étais seul en train de photographier un massacre. Il me fallait témoigner et envoyer les images. À cette époque on prend un risque quand on envoie des pellicules. La technologie n’est pas la même, il n’y a pas de copie. Je les fait donc partir sans savoir si elles arriveront un jour. 10 jours après j’ai un coup de fil de Newsweek Magazine : “Félicitations! Vous faites la couverture et 10 pages couleurs à l’intérieur”. Shooting In San Salvador ! Ils m’embauchent pendant 3 mois et je deviens correspondant.

Ton père devait être fier ?

Nous échangions peu. Mon père considérait que je faisais un métier de saltimbanque, que les photographes étaient des gitans. Il a reconnu mon talent quand je suis rentrée à l’ORTF en tant que caméraman. “Mon fils a réussi, il est rentré à la télé” ! J’y rentre en 1976, 1977. Je reçois un appel d’un journaliste qui s’appelle Jean-Louis Remilleux qui avait vu mes photos et m’avait entendu sur RTL où j’avais une petite chronique sur la prise d’otage de l’ambassade de France. Il cherchait un fixeur. Je me retrouve à passer 3 semaines avec une équipe de télé de TF1. Il y avait un cameraman formidable qui s’appelait Roch Pescadère avec lequel, pour s’amuser, nous échangions nos appareils. En rentrant à Paris, j’appelle Roch qui m’apprend qu’ils ont utilisé pas mal de mes d’images tournées sur le reportage. TF1 cherchait des cameramen, j’ai été engagé.

Tu lâchais ta passion ?

Non. Et c’est bien de changer. Je pense que la caméra était dans la logique par la suite pour moi. Au début je n’étais pas très bien vu des autres cameramen. En tant que photographe, on traîne parfois l’image du voyou qui passe devant les autres, qui gêne tout le temps… tu vois.. un peu le côté paparazzi …

Le principe du reportage reste le même pour toi ?

Très vite j’ai monté des coups. Je travaillais pour le journal télévisé et je pars couvrir la guerre du Tchad. À N’Djaména, la ville est à feu et à sang et on ramène un sujet exceptionnel pour le 20h. Des images qu’on ne pourrait plus passer aujourd’hui. Jean Bertolino me remarque et me propose de le suivre en Iran. Nous y faisons l’interview de l’Ayatollah Khomeini. C’est un scoop mondial. Ce qui est extraordinaire c’est que c’était nous qui faisions les sujets. Nous fabriquions nous-même l’actualité. Aujourd’hui les images sortent en direct. Je suis catalogué comme reporter de guerre en rentrant. Je suis resté 17 ans à TF1.

Quel est ton reportage le plus marquant?

Le cartel de Medellì avec l’interview de Pablo Escobar. C’était pour 52 sur la Une avec Jean Bertolino. C’est un coup à une époque où grâce à mes liens en Colombie et ma grande connaissance de l’Amérique Latine, TF1 m’offre carte blanche pendant un an pour obtenir ce scoop. Le cartel je l’ai escaladé comme une armée : par la base et tu montes doucement. J’ai fait pas moins de 6 allers retours avant de rester avec eux 1 mois et demi, au coeur du cartel. Ce sont des choses qu’on ne peut plus faire aujourd’hui. Le portrait et l’interview du parrain, c’est plus possible.

À quel moment montes-tu ton agence ?

En 1992, je monte mon agence. J’avais le choix entre une carrière à TF1 ou une carrière d’indépendant… J’ai quitté TF1 en très bons termes avec une exclusivité de 2 ans.
J’avais envie d’entreprendre. J’amenais les idées, je tournais et je montais. J’achète une betacam, je pars en Colombie et là il y a eu un miracle : un jour, je suis chez le coiffeur à Bogota et je lis dans le journal la news suivante : “Un enfant de 9 ans s’occupe des vieux de son bidonville”. Je pousse la porte du bidonville d’Albeiro qui était en train apprendre à écrire à des petits vieux et je commence a tourner. Je fais un film exceptionnel : le petit ange de Colombie. Il faisait tout pour eux. Je pleurais derrière la caméra quand je tournais. Je propose le sujet à Michèle Cotta. Je lui dis 2 phrases au téléphone et elle me dit de rentrer tout de suite. En visionnant, elle se met à pleureur. Explosion au standard pour des dons. J’ai suivi Albeiro régulièrement et nous sommes toujours en contact aujourd’hui. Il a un hôpital en bas du bidonville. Encore une fois c’est la curiosité qui me pousse.

C’est le premier gros sujet de l’agence ?

Oui. Par la suite, je me suis entouré de copains. Par exemple, Patrick Chauvel me rejoint et nous faisons ensemble un 52 minutes sur les pompiers du Bronx car il était spécialiste des Etats-Unis. Je n’ai jamais eu envie de monter une entreprise. Ça a plus été, des copains qui sont venus me rejoindre. Patrice Lucchini qui était monteur à 52 sur la Une, est aujourd’hui directeur de la rédaction de l’agence. Dominique Carel, s’occupe du financier, Arnaud Denoual est notre directeur de production. Il y a une belle équipe de 40 personnes : rédacteurs en chef, réalisateurs, reporters, monteurs et tout le service technique.

Quel est l’ADN de Tony Comiti ?

Il faut faire des reportages utiles. Notre ADN c’est l’info par l’image, il faut écrire avec sa caméra et garder l’instinct de l’information. Aujourd’hui il faut être à l’écoute de la rue, il faut être rapide. Il faut continuer d’aller sur le terrain pour être au coeur de ce qui se passe.

Comment l’agence évolue-t-elle ?

L’agence vit beaucoup sur son catalogue. C’est un point important. En terme d’innovation on a lancé un format pour les réseaux sociaux qui s’appelle Cam Cash. Il arrive que ces petits formats donnent des docs. Et il y a les Routes de l’Impossible qui reste une signature exceptionnelle.

Quel est ton lien avec Atlantis ?

Nous sommes arrivé à Atlantis parce que Frédéric Houzelle est à l’écoute et comprend ce que nous voulons. Nous parlons le même langage. Nous sommes tous les deux nés dans la télévision. Ensuite, Atlantis est un écosystème dynamique et forcément cela nous convient.

C’est quoi un bon reporter pour toi ?

C’est l’homme orchestre. C’est celui qui sait monter des coups et qui va raconter la belle histoire. Mais souvent il faut aller la chercher la belle histoire. Il ne faut jamais oublier de se nourrir des gens qui voyagent. Il faut être à l’écoute de la rue et de ce que les gens racontent.

Tu as des passions en dehors de l’image ?

La musique, et plus particulièrement le rock et la Corse où j’essaye de retourner une fois par mois.